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Vert de green ou vert kaki : quel Hawaien serez-vous ?




Photos DR Chris Condon, Golf Digest et Mark Abramson pour le New-York Times

Il n'y a pas que le surf, la mémoire du raid japonais et la grande bouffe à toute heure. Honolulu est aussi une destination de pointe pour les adeptes de ce qui constitue deux des piliers de la culture américaine : le golf et l'armée.


Il y a cent vingt-cinq ans, l’Amérique découvrait avec Hawaii un loisir nouveau : dévaler des vagues en se déhanchant sur une table à repasser. Certains ont depuis fait de leur planche de surf un objet de dévotion. Mais nombre de ceux qui ont traversé l’océan, pour une semaine ou sans billet de retour, n’ont pas lâché leur sac lesté des 14 clubs de rigueur. Faisant de la petite balle à facettes qui hante les jours et les nuits de vingt-cinq millions d’Américains un modèle de colonisation, à faire enrager McDo ou Starbuck. Soixante-quinze parcours de golf différents, dont quarante sur la seule île d’O’ahu : qui fait mieux ?


Une telle concentration, sur un territoire plus exigu que le département du Val d’Oise, a amené des générations de promoteurs soucieux de croquer un bout du gâteau à jouer des coudes, au détriment parfois des conditions offertes aux joueurs. Si sous ces climats, « jouable toute l’année » est un équipement de série, la vue « à couper le souffle » sur les rouleaux de l’océan revendiquée par les photos des sites touristiques s’avère une option nettement plus rare.


Dès la sortie de l’aéroport, le premier terrain qui se présente est collé aux piles de béton qui

soutiennent l’autoroute urbaine d’Honolulu. Le Navy and Marine golf course est l’un des neuf parcours destinés aux militaires de Hawaii. La proximité avec les installations de l’armée, notamment le port de Pearl Harbor, a certainement été un critère majeur du choix des créateurs. A moins que ce ne fût l’inverse : le golf aurait-il précédé l’interstate ? Le fait est que ni le décor ni le niveau sonore n’ont l’air de déranger les joueurs du cru. Sur les forums, leurs commentaires se concentrent sur la surpopulation. Trop de joueurs simultanément. Il faut poireauter au départ de chaque trou. Ça râle.


Le Ala Wai golf course a l’avantage d’avoir été aménagé au cœur d’Honolulu. Le quartier névralgique de Waikiki est à portée de deux ou trois coups de driver seulement. Géré par la

municipalité, les green fees y sont abordables. Des conditions idéales pour une partie en matinée, avant la plage ou le surf. A condition de faire siens les inconvénients qui vont avec :

un emplacement exigu, un parcours manquant de relief, un gazon qui se mite ‒ car ici aussi, vous l’aurez deviné, le site ne désemplit pas. Eviter les intrusions et, à l’inverse, stopper le vol des balles perdues vers les parebrises ou les poussettes sont sans doute la vocation de l’austère grillage qui ceinture le quadrilatère. Mais l’incongruité d’un tel équipement dans une ville presque dépourvue de clôtures surprend. Quel facétieux se risquera à déjouer les rondes de l’omniprésente Honolulu Police pour poser une pancarte interdisant aux passants de donner à manger aux joueurs ?


Plusieurs manières d’échapper à la foule des prolétaires du golf existent. Enfourner ses clubs dans le coffre et prendre ses distances avec la vaste zone urbaine, par exemple. Mais le swing dans la verdure n’est pas forcément bon marché, et prière de s'enduire de crème anti-moustique avant de se présenter au départ du numéro 1. Bénéficier d’un visage célèbre est une autre possibilité, mais elle nécessite d’y avoir pas mal œuvré en amont ; ce qui est le cas également de l’option American Express Platinum. Si vous cochez les bonnes cases dans les deux derniers cas, le déplacement peut être très court.


En quittant Honolulu par l’est, il suffit de contourner Diamond Head puis de bifurquer à droite, en direction du littoral. Remarquable volcan éteint aux formes régulières, Diamond Head domine la partie orientale de la capitale et se visite (réservation obligatoire la veille). Particulièrement actif, le Waialae Country Club est un très smart complexe hôtelier et golfique qui va bientôt célébrer un siècle d’existence. Le luxe est dans son ADN : le parcours a été aménagé en 1927 sur l’emplacement d’un terrain de polo et d’un hippodrome. Ici, la publicité ne ment pas. Pour les droitiers, les départs du 6 ou du 16 se jouent vraiment le nez dans les palmiers et les embruns. La direction n’annonce publiquement aucun tarif. Trop trivial.


Le site spécialisé Country Club Digest a donc mené l’enquête. Selon ses estimations, les droits d’inscription varieraient entre 30 000 et 100 000 dollars, selon le type d’adhésion, le lieu de résidence, l’âge et les services désirés. Pour la cotisation annuelle, prévoir de 10 000 à 30 000 dollars. Le site américain, qui se veut une aide au choix d’un de ces social clubs dont raffolent les Anglo-Saxons, ne fait pas mention du tarif d’une partie pour la clientèle de passage. Mais en fouillant sur le net, il est possible de se faire une idée, grâce à ce genre d’appel à partenaire de jeu lancé par un vacancier. Son ambition, indique-t-il, est de se confronter à la quarantaine de parcours au programme du circuit professionnel‒ quitte pour cela à « payer un tarif absurde ». Le Waialae Country Club n’admettant les départs que deux par deux, il indiquait, dans cette sorte de bouteille à la mer, ses dates de vacances et, en passant, le montant de son absurdité hawaienne : 400 dollars.


À 22 dollars le trou, le Waialae Country Club peut bien promettre des prestations haut de gamme en termes d’installation. Les besoins en eau du gazon sont ajustés électroniquement et la taille de l’herbe rase des greens est assurée à la main. Un raffinement qui, cela va sans dire, se doit d’être partagé. Sur les fairways comme au restaurant, seuls sont admis les polos ou les chemises « dotés d’un col » et les pantalons. Refoulés, le jeans, le t-shirt et les tenues de sport. Le short peut s’envisager s’il a « une longueur appropriée ».


Une fois ces convenances admises, il devient possible pour tout un chacun de fouler les links où

Lee Trevino, Jack Nicklaus ou Justin Thomas plus récemment ont signé une victoire sur le circuit de la Professional Golf Association. Car depuis 1965, sans discontinuer, le PGA Tour a ses habitudes

sur ce parcours qui présente la particularité d’être l’un des plus courts de la saison (moins de six kilomètres et demi), ce qui lui vaut d’afficher un par de 70 coups. En rentrant un putt d’une douzaine de mètres, l’Américain Grayson Thomas, grand gaillard un poil enrobé et plutôt teigneux, a ajouté en janvier 2024 son nom au palmarès. Un coup à 1 494 000 dollars.


 

L’armée des golfeurs n’est pas la seule force d’occupation des éphémères îles Sandwich, du nom dont les avait désignées le navigateur James Cook. L’intérêt originel de l’Amérique pour l’archipel était d’ordre stratégique, et le temps n’a pas modifié l’objectif. Les militaires contrôlent aujourd’hui près de 900 kilomètres carrés de terre hawaienne (28 000 au total). Comme dans d’autres domaines, O’ahu a tiré le gros lot. L’île concentre treize bases. A une cinquantaine de kilomètres d’Honolulu, l’une d’elle aligne une collection de dômes de télécommunication spatiale. Aux corps d’armée traditionnels se sont agrégées des unités spécialisées dans les domaines d’affrontement de l’époque : cyber-espace, espace. Huit décennies après l’attaque, et contrairement au filtre sépia dont il est tentant de parer le nom de Pearl Harbor, l’activité militaire demeure une composante majeure de la population et de l’économie de l’archipel. Avec 50 000 militaires et 100 000 civils dont les emplois sont directement liés au secteur, la contribution kaki à l’économie du territoire atteint 15 milliards de dollars par an.


Vu l’épidémie inflationniste qui affecte les budgets de défense sur tous les continents, il est facile de prédire que la tendance ne sera pas baissière dans les années qui viennent. En témoigne un reportage en treillis du New York Times au plus près d’une unité de marines saisie en novembre 2023 en plein entraînement au cœur de la jungle hawaienne. Depuis que les Etats-Unis se sont piteusement retirés d’Irak et d’Afghanistan, les formations dans le sable et les cailloux n’ont plus de raison d’être. C’est aux conditions d’une potentielle confrontation avec la Chine que l’US Army prépare ses troupes d’élite. « L’armée totale » dont rêve le commandant de l’armée du Pacifique, le général Flynn, a besoin de cet aguerrissement à la chaleur et à l’humidité. Une première depuis la guerre du Vietnam, dans les années 1960 et 1970.


Le site d’entraînement, hermétiquement grillagé, est situé à proximité du camp aux dômes. Sous la pression de lobbies locaux, le Pentagone avait fini par y interdire les séances avec tirs à balles

Photo DR - Mark Abramson N.Y. Times

réelles. Mais les lieux n’ont pas été restitués aux autorités civiles pour autant. Fusils juchés au sommet du sac à dos, des hommes progressent dans une rivière boueuse. Odeurs de sueur et de limon. Pour enfoncer le clou, documents et photos de Guadalcanal ont été sortis des archives.

Hawaii est la seule terre américaine à posséder un camp militaire de jungle. De ce fait, Okinawa, au sud du Japon, et l’Amazonie péruvienne ont aussi été mises à contribution pour hâter la mutation des troupes US. Un total de 5 300 soldats se sont acclimatés l’an passé à la guerre dans la boue, sous la pluie, avec les insectes et les risques d’infection pour compagnons. En 2024, un exercice majeur doit se dérouler aux Philippines. « Cet environnement n’est pas l’ennemi mais nous devons apprendre à vivre avec. Ne sous-estimez jamais la nature ! », résume un instructeur, cité par l’auteur du reportage, Damien Cave.


Ils ne sont pas nombreux. Mais il existe donc des humains pour lesquels Hawaii n’est pas l’autre nom d’un parc de loisirs géant, agrémenté d’un lieu emblématique du tourisme historique et peuplé de quelques autochtones en démonstration à heure fixe.

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