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« Nous n’avons jamais vu arriver l’argent promis »

Dernière mise à jour : 31 mars 2023


La prise de parole de Ralph Regenvanu lors de la Cop 27 à Charm El Cheikh en novembre 2022 (Photo AFP)

RALPH REGENVANU est le Ministre de l’adaptation au changement climatique du Vanuatu. Lassé des promesses d’aide financière non tenues des pays riches, son pays tente de faire adopter par l'ONU le principe d’une action devant la Cour internationale de Justice de la Haye. Entretien avec celui qui porte le dossier pour le compte d'une des nations les plus durement touchées par les effets multiples et de plus en plus dévastateurs des dérèglements du climat.


Quelles sont les conséquences du changement climatique auxquels votre pays fait face en plus de la montée des eaux ?

Plusieurs effets se manifestent au Vanuatu. Le premier est la hausse du niveau de la mer. Certains territoires bas sont déjà submergés lors de grosses marées. A certains endroits, l’eau salée recouvre les réserves d’eau douce et des gens n’ont plus accès aux puits. Ceci affecte aussi les plantations sur la terre ferme. Au-delà, nous avons bien davantage d’épisodes pluvieux, bien plus intenses, qui causent des glissements de terrain et des inondations dont nous ne connaissions pas l’intensité auparavant.


Est-ce dû au phénomène de la Niña ?

Oui, quand la Niña produit ses effets comme en ce moment, cela aggrave le phénomène. Mais nous avons davantage de ces épisodes plus intenses sans la Niña. Et puis nous subissons aussi des cyclones plus violents, qui causent des dommages plus graves. Les effets se font sentir sur la végétation, notamment les cultures fourragères. Nous devons changer nos standards pour assurer la sécurité alimentaire du pays. Ce sont là quelques-uns des changements qui affectent le Vanuatu. Ils nous contraignent à changer les lieux où nous vivons, la façon d’obtenir les ressources dont nous avons besoin, la construction de notre économie. C’est l’une des actions principales que nous essayons de mener dans notre pays.


Quelles sont les régions ou les îles les plus impactées ?

Nous avons identifié toutes les régions critiques du pays, c’est l’une des choses qu’a réalisées le gouvernement auquel j’appartiens ; tous les endroits critiques où l’élévation de la mer est à l’œuvre sont connus sur chacune des îles et il en va de même pour les autres phénomènes naturels tels les glissements de terrain, les cyclones ou les tsunamis. De fait, toutes les zones où les populations ne devraient plus résider et celles où il est plus sûr de s’installer sont identifiées. Bien sûr, les Ni-Vanuatais n’ont pas encore tous commencé à bouger. Mais tout le travail d’identification est fait.


Le gouvernement a-t-il déjà lancé l’aménagement de quelques-uns de ces nouveaux lieux de résidence des Ni-Vanuatais ?

Un certain nombre de gens et des communautés ont commencé à bouger par eux-mêmes. Le Gouvernement est de plus en plus impliqué dans ces mouvements -et il doit l’être encore plus. C’est ce que nous appelons la politique de relocalisation nationale mais nous n’avons pas encore fait grand-chose. Il faut agir.


Où avez-vous prévu de porter votre action prioritairement ?

Nous allons sans doute commencer par les zones urbaines. De nombreuses personnes vivent en périphérie des villes sur des terrains appartenant à l’Etat ou sur des terres coutumières. Ils n’en sont pas propriétaires, ils sont livrés à eux-mêmes. A la différence des insulaires qui vivent sur leur propre terre ou sur des terres coutumières et qui ont commencé à déménager, ceux qui se sont installés autour des villes pour trouver un travail n’ont pas d’autre endroit où aller. Il est certain qu’il faut s’occuper d’eux prioritairement.


Cela veut dire que le gros de vos efforts va porter sur l’île d’Efaté ?

Oui, Efaté et la ville de Port-Vila sont évidemment en première ligne, Black Sands, Mélé et d’autres endroits comme ça.


Cela représente combien de personnes ?

Plusieurs milliers. Elles ont été identifiées comme étant à risques. Quand bougeront-elles, comment bougeront-elles, ce sont les questions qui se posent maintenant mais nous savons que les périphéries urbaines ne sont pas des lieux sûrs. Nous sommes probablement parmi les premiers pays du monde à avoir défini une politique sur ce sujet.


Etes-vous en lien avec le gouvernement fidjien, qui a commencé à mettre en œuvre ces relocalisations ?

Je pense que le gouvernement fidjien est plus engagé que nous ; ici, il s’agit plus d’initiatives des communautés. Mais comme je l’ai dit, nous allons être beaucoup plus engagés que nous ne le sommes actuellement.


Et vous êtes, personnellement, très actif sur ces sujets !

Il le faut.


Comment se traduit l’anticipation en matière de lutte contre l’activité cyclonique et ses effets ?

Nous travaillons à l’amélioration des systèmes d’alerte, à la fois dans la prévision des cyclones et dans l’amélioration de la communication vers les populations afin de leur donner une meilleure connaissance de ce qu’ils doivent faire avant l’arrivée de la dépression. Et bien sûr il nous faut des infrastructures plus résistantes, des bâtiments, des routes et aussi des maisons qui résistent mieux. Il faut que les gens sachent qu’ils ont accès à des informations leur permettant de construire des habitations plus résistantes. Le rôle du gouvernement est de réaliser des routes, des écoles, des hôpitaux et des équipements publics. Mais nous avons très peu d’argent. Or réparer une route en la mettant aux normes supérieures coûte dix fois plus cher. Le problème du financement de toutes ces mesures est un challenge toujours plus exigeant pour le gouvernement et c’est la raison pour laquelle nous attendons les effets de la conférence de Paris (en octobre 2015, ndlr), dont l’accord disait comment les pays riches allaient aider ceux qui ont besoin d’argent. Nous n’avons pas vu grand-chose arriver de ce côté-là mais nous continuons à nous battre.


Les COP suivantes n’ont pas été suivies de beaucoup d’effets sur le plan de l’aide financière.

Non. Nous n’avons jamais vu arriver l’argent promis. En tous les cas l’argent qui nous est parvenu est loin de ce qui avait été promis.


Et ça vaut la peine de continuer à assister à ces grand-messes climatiques ?

Nous devons continuer à nous y rendre car nous n’avons pas le choix Nous espérons toujours y voir un signe de changement.


Où en est la procédure de l’action entamée en septembre 2021 par le Vanuatu auprès de la Cour internationale de justice ? (*)

Le Vanuatu a voulu que la Cour internationale de justice se prononce à la face de l’opinion internationale sur la valeur des obligations des Etats dans le changement climatique, considérant que tous ces engagements ont été signés. Pour pouvoir défendre cette position devant la CIJ, il nous faut une majorité de votes favorables de la part des pays membres à l’ONU. Nous menons donc en ce moment une grosse campagne de lobbying, sachant que le vote devrait probablement intervenir lors d’une prochaine assemblée générale de l’ONU, sans doute en mars.


Etes-vous confiant ?

Totalement, ça devrait passer.


(Entretien réalisé à Port Vila le 27 janvier 2023)


(*) Le 30 mars, l'assemblée générale de l'ONU a adopté sans vote et dans un tonnerre d'applaudissements une résolution entérinant la demande du Vanuatu.

 

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Récit où se succèdent plusieurs improbables...


Dans le Green sofa à Charm El Cheik le 16 novembre 2022. (Photo Johann Blain)

Il n’existe pas de liaison directe entre la Calédonie et les Salomon. Le voyage se fait donc à l’océanienne : en apprenant à prendre son temps. Le plus économique des deux itinéraires au départ de Nouméa passe par le Vanuatu avec, le dimanche matin, une unique desserte de Honiara, la capitale des Salomon. En remontant le calendrier du transport aérien, il s’agit donc de quitter Nouméa par le dernier vol précédent soit le… vendredi matin.

Question : comment remplir utilement 48 heures de transit à Port-Vila ? Un entretien avec un spécialiste des questions climatiques au ministère concerné ? Le mail portant la demande est parti bien en amont. Depuis, silence. Mais, autre usage océanien, une absence de réponse n’est pas une réponse négative. Et Port-Vila n’est pas Londres. Qui ne tente rien… Un bout de marche jusqu’à l’adresse du Ministère. Une hésitation : ce bâtiment qui a tout d’une grosse station météo est-il réellement le siège d’une des plus importantes administrations du pays ?

Puis la chance. L’arrivée quasi-simultanée d’un 4x4 noir que conduit le ministre lui-même. La porte du bâtiment se referme sur la silhouette massive. Mais l’entrée au public est ouverte. Deux souriants barrages d’assistantes sont levés avec la production de LA preuve, l’affichage du mail et de sa date d’envoi. Et voici comment il est possible de se retrouver, presque en tenue de plagiste, face au ministre en personne.

L’un des ténors de l’actualité environnementale, mais aussi un expert reconnu en gestion du patrimoine culturel et plus particulièrement en sauvegarde du patrimoine culturel immatériel et des droits de l’homme. L’avocat des petits Etats du Pacifique qui entend contraindre les pays riches à sortir le chéquier. Le porte-parole récurrent de COP en COP de la cause d’un archipel qu’accablent toutes les catastrophes climatiques possibles. En marge de son intervention à la 27e édition de la grand-messe mondiale, célébrée l’automne dernier à Charm El Cheick (Egypte), Ralph Regenvanu avait brillé lors d’une table ronde organisée par la délégation allemande. Puis il avait posé pour la photo sur le green sofa, ambassadeur de la transition énergétique et symbole de l’engagement de Berlin pour la cause verte.

Le piquant de l’histoire est que l’un des sherpas qui avaient mis sur pied l’opération porte le même nom que l’auteur de ces lignes, prénom Johann. Mon Berlinois. Servus mein Sohn !

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