Une fois n’est pas coutume, pourrait-on dire en mélanésien : cette chronique est dédiée non à un reportage déjà réalisé, mais à un sujet futur. Voilà deux années que le projet de raconter le rôle pionnier de Fidji dans la relocalisation de ses villageois menacés par les changements climatiques est en gestation. Le sujet est fort, humainement. Novateur aussi, car les Fidjiens ont pris le problème à bras-le-corps depuis près de vingt ans alors que le reste du monde commence seulement à se gratter la tête sur le sujet. Il est de ce fait porteur de solutions, d’où l’idée de l’intituler « la bande-annonce ». Enfin il s’impose au regard des partis-pris éditoriaux de ce blog : parler de climat autant que d’histoire. A ce jour, la liste des reportages publiés laisse apparaître un -très léger, 18 contre 2- déséquilibre entre les deux.
Deux ans, donc. Pourquoi ce long temps ? Parce que la notion du temps, ici, relève de l’aléa ? Pas vraiment, pas cette fois. La tentative d’entrer en contact avec les autorités fidjiennes via Linkedin est certes demeurée infructueuse. Mais l’antenne à Suva de la GIZ, la banque allemande de développement partenaire du programme, se dit de suite intéressée et prête à m’aider lorsque le temps sera venu. On est fin 2022. Mon déplacement à Guadalcanal (Îles Salomon) est déjà calé : Fidji viendra dans la foulée.
C’est alors qu’intervient Michel M., mon voisin de table lors d’un dîner en ville. Babillages rituels dans ce type de situation. Michel M., je le découvre, est caméraman de France Télévision. Il me regarde par-dessus ses petites lunettes. « Tes sujets sont intéressants. Pourquoi ne pas en faire des documentaires vidéo ? Je suis certain que NC 1re serait intéressée ». Sourire décontenancé, dénégation polie. « Oui, pourquoi pas ? Je n’y avais pas pensé. Mais c’est peu probable ». Je n’en sais rien mais il est déjà trop tard. Le virus est à l’œuvre. C’est vrai que la portée du sujet mérite l’usage d’un porte-voix. Quelques appels sont passés à des numéros remontant à mon passage aux Nouvelles calédoniennes, dix ans plus tôt. Une poignée de rendez-vous est pris, pour avis. Gonzague B., de la télé, m’encourage et m’ouvre son agenda. La patronne d’Archipel production, Cathy M., montre de l’intérêt et suggère de retravailler le pitch. « En vidéo, il faut que l’histoire soit portée par un ou des personnages ». Début 2024, pleine période de vacances scolaires ici, je m’offre mon Noël avec un billet pour Papeete. Vingt ans que Tahiti accueille le festival de Cannes du Pacifique. Le créateur du Fifo (Festival du film documentaire international du film océanien) est mon ami Wallès K, ancien patron de France O. « Tu pourras y croiser tout ce qui compte dans cet univers, producteurs, chaînes de télévision, réalisateurs, certains venus de métropole. C’est l’un des rares rendez-vous qui réunit des communautés francophones et anglophones du Pacifique », m’a-t-il dit en substance au cours d’un petit déjeuner comme nous en partageons à l’occasion.
Le problème est que comme le Manitoba de Hergé, le GIZ ne répond plus. Mes relances s’abiment en mer. Tout au long de 2023, en alternance, j’y lance des courriels/bouteilles. À des officiels fidjiens identifiés sur le net. À la branche fidjienne de la Commission du Pacifique, par le biais d’un ancien haut responsable de cette sorte d’Unesco à la mode océanienne. À ce site d’information néo-zélandais centré sur l’actu du Pacifique anglophone. Je tente un envoi collectif à la rédaction du Fiji Times. Rien ne remonte. Impossible de s’embarquer dans un reportage à mille nautiques de Nouméa sans un « fixer » de l’autre côté, de partir sans le minimum vital d’informations. L'horloge tourne, le sujet s'enlise.
Le miracle porte un prénom délicieux. Comme une TSF qui se remettrait à grésiller, un mail signé Anina V. atterrit dans ma boîte aux lettres un matin de juin. Anina V. est en poste dans la capitale fidjienne pour le compte de la GIZ. Elle se dit désolée et s’excuse d’un si long silence. Sa collègue, mon contact, est en arrêt de travail pour longue maladie. Ils ont été bousculés. Elle reprend le dossier, s’excuse encore et demande à en savoir davantage sur le projet avant de déranger ses interlocuteurs fidjiens.
Nouméa n’est qu’incendies et gaz lacrymogènes depuis plusieurs semaines et je m’apprête à partir en villégiature saisonnière en terre de Valois dès qu’un vol au départ de la Tontouta sera ouvert aux civils. Mais ce fil renoué, il n’est plus question de le lâcher. Des échanges ont lieu depuis l’Europe. L’échafaudage monte. Un petit laïus résumant le projet remis aux dignitaires fidjiens par mon désormais agent sur place a l’air d’avoir reçu le bon tampon. La porte s’entrouvre, le principe d’un rendez-vous préparatoire est acté. Les dignitaires fidjiens sont nombreux à se rendre à Bacou pour la Cop 29, et Anina V. a calé des congés autour des Fêtes. Qu'à cela ne tienne, va pour un déplacement en janvier, avec un calendrier de rendez-vous à son initiative dont je ne sais encore rien. Mais j’ai confiance. Deutsche Qualität.
En sortant de l’agence de voyages, mon portable vibre. « Bonjour, c’est Cathy M. Où en es-tu ? En plus de mon sujet fidjien, elle m’explique avoir dans l’idée une série de documentaires. Le Fonds Pacifique, doté par le ministère des Affaires étrangères, est à la recherche de projets à financer sur la thématique de la lutte des Océaniens contre les effets du changement climatique. Le secteur de l’audiovisuel est admis à concourir. Elle propose un rendez-vous avec Fabien D., ancien des Nouvelles déjà initié aux secrets du journalisme en 24 images-seconde et son synchronisé. Je regarde le ciel, en plein jour. Voir si la Croix du sud est pour quelque chose dans cet improbable alignement des planètes. Autour de trois Perrier-lime, une conférence de rédaction s’improvise quelques jours plus tard. Je me propose pour rédiger la fiche technique d’une première liste de sujets. C’est la prose du premier, dans son état actuel, qui est à retrouver ci-dessous.
Voilà l’état des lieux. Deux ans après le kick-off, je ne sais toujours pas si l’expédition de Suva va accoucher d’un documentaire (que s’arracheront les diffuseurs, bien sûr) ou si le reportage sera réservé à l’élite des internautes qui ont eu la bonté de se pencher sur le berceau de Humans of Pacifique. Ma certitude est que « la bande annonce », initiative fidjienne suivie ou non d’un film, sera une réalité. Partagée à échéance plus ou moins courte par la planète.
LA BANDE ANNONCE
Comment protéger les littoraux les plus bas lorsque la mer menacera ? A New-York, première ville américaine exposée, aux Pays-Bas, les scénarios s’ébauchent. Or à Fidji, le film existe déjà ! Il est même visible depuis 2014, avec six villages relocalisés, suivant un plan national que chaque nouvelle opération enrichit.
LE CONTEXTE
Les habitants de Vunidogoloa ne sont pas seulement les premiers relocalisés climatiques fidjiens. Ils sont aussi sans doute des pionniers à l’échelle mondiale. Dans un archipel où deux-tiers des 930 000 habitants vivent à moins de cinq kilomètres de l’océan, l’état n’a attendu personne pour prendre son destin en mains. Les villageois eux-mêmes avaient donné l’alerte. Dès 2004, une administration dédiée à l’urgence climatique a été mise en place. Île après île, 42 villages à risque submersion ou glissement de terrain ont été classés « à relocaliser en priorité ». Depuis 2014, dans leurs bungalows en dur à quelques dizaines de mètres d’altitude, les 180 résidents de Vunidogoloa se disent plutôt satisfaits. Ils n’ont plus à craindre la montée des eaux. Les panneaux solaires éclairent leurs soirées et la terre ici est généreuse, fruits et légumes poussent mieux que dans la salinité des sols d’en bas.
Mais derrière ce constat à la froideur de scalpel, que de travail, de palabres, d’émotions, d’énergie ! Il s’est d’abord agi de dérouler une lente séquence administrative, financière et de terrain, avec les populations. D’aménager et viabiliser les nouveaux lieux sans oublier l’eau et l’énergie. Avec la migration sont venus les sentiments. Le déchirement de quitter sa terre et, tout de suite, la colère des mamans : les maisons n’ont pas de cuisine ! Aucune femme n’avait été conviée aux discussions préparatoires. Rien non plus n'a été prévu pour les morts.e Dans un univers qui vénère les ancêtres, comment imaginer laisser le cimetière à la merci des vagues ?
A Tukuraki, village de montagne sinistré par un glissement de terrain, la terre coutumière était trop exigüe. Les villageois ont dû demander l’hospitalité à la tribu voisine. Accordé. Mais tout s’est gâté quand les locaux ont pu comparer les conditions faites aux arrivants à leur propre cadre de vie. Le calme n’est revenu qu’après bien des tensions. Désormais, le Standard Operating Procedures for Planned Relocations (SOP) prévoit un partage à 50-50 des équipements collectifs avec les villageois-hôtes, potagers, mare aux poissons.
Le SOP ? C’est l’autre idée force de la méthode fidjienne. Une vraie bible de la relocalisation réussie, nourrie des erreurs et situations inédites relevées lors des six mutations opérées à ce jour. Depuis l’épisode des cuisines oubliées, la procédure fait obligation de consulter au moins neuf habitants sur dix, handicapés et communauté LGBT inclus. Les cimetières aussi doivent être déménagés. Ce qui fait dire à Erica Bower, l’experte auprès des Nations-Unies et des autorités fidjiennes qu’« aucun autre pays à ma connaissance n’a été aussi loin dans la planification de relocalisations à cette échelle. Ce sont des questions que nombre de gouvernements dans le monde vont se poser dans les dix, les vingt et les cinquante ans à venir ».
LE DOCUMENTAIRE
Il est porté pour l’essentiel par une personne ou un couple/famille dont on va suivre le cheminement, intellectuel puis physique, d’un lieu de vie vers l’autre. Un cheminement en trois temps : avant, pendant puis après l’une des prochaines opérations de relocalisations prévues dans l’archipel. Il s’agit de montrer de l’intérieur, grandeur nature, ce que pèse le fait de devoir abandonner définitivement la terre de son clan, de fermer son logement, de tourner le dos à la mer nourricière devenue une menace pour s’approprier un nouveau chez soi appelé à être durable.
A Vunidogoloa, les habitants redescendent régulièrement dans l’ancien lieu d’habitation. Ils vont à la mer pour pêcher, se nourrir, comme toujours. Mais on comprend qu’ils cherchent aussi à conserver un lien, à trouver un sens à ce qu’ils vivent. En évitant le larmoiement, le documentaire mettra en avant ce que cette forme spéciale de migration a en commun avec le sort de tous les réfugiés de la planète, une souffrance teintée d’espoir.
NB
J’ai volontairement coupé ici la description du documentaire. La suite est une proposition personnelle, dont la pertinence comme la faisabilité doivent être débattues avec Archipel Production ; et il entre dans ce choix une part de besoins de confidentialité, également.
A suivre en 2025 !