Comment l’océan aux colères à la mesure de sa démesure a-t-il pu être qualifié de Pacifique ? Pourquoi une île parmi tant d’autres dans cette immensité porte-t-elle aujourd’hui encore le nom d’une petite bourgade de l’arrière-pays andalou ? Par quels méandres le patronyme d’un roi biblique dont la science n’a toujours pas établi l’existence réelle peut-il désigner un pays souverain, membre de l’ONU, rattaché à la Couronne britannique par les liens du Commonwealth ?
Pour répondre, il faut recaler le sablier du temps quelques siècles en arrière, à l’époque des grandes explorations et de la propagation du concept de la Terre ronde. Dans la foulée de la « découverte » de Christophe Colomb (1492), des pionniers espagnols se sont installés de l’autre côté de l’océan. Vasco Nunez de Balboa est l’un de ceux-là. Parti quelques semaines plus tôt d’un rudimentaire campement établi sur ce qui est aujourd’hui la limite, côté Atlantique, entre la Colombie et le Panama, l’aventurier interrompt soudain sa marche. Il est 10 heures du matin, le 27 septembre 1513. A genoux, les paumes tournées vers le ciel, Balboa remercie Dieu en contemplant l’étendue liquide qui scintille au bas de la montagne que ses compagnons et lui viennent de gravir. Ainsi, les indigènes disaient vrai. Au-delà de l’Atlantique, au-delà des montagnes, il y a bien une autre mer. Ce sera la « Mer du sud », décident-ils. Appellation de courte durée.
Fin 1520, Fernand de Magellan (Photo DR) est le premier Européen connu à contourner le continent américain par sa pointe sud et à prouver la réalité du fameux « passage du sud » dont les géographes de l’époque subodoraient l’existence. Une traversée sans encombre du grand océan inspire au Portugais -qui, comme le Génois Christophe Colomb, court les mers pour le compte de la couronne espagnole- le qualificatif de « pacifique ». Magellan ne verra pas la fin du premier tour du monde officiellement reconnu, il n’aura pas non plus l’occasion d’éprouver les tempêtes dont est capable le grand Océan. Du côté des futures Philippines, il est tué avec plusieurs de ses hommes par les indigènes. Mais le nom de Pacifique lui survit.
Ce début de seizième siècle est marqué par une farouche course de vitesse entre Espagnols et Portugais pour la maîtrise des nouveaux territoires. Anglais et Néerlandais ne sont pas encore concernés par le sujet, encore moins la France. Afin de mettre un terme à l’escalade guerrière que suscite leur concurrence, les deux royaumes se sont assis à la même table. Le traité de Tordesillas, signé en 1494 et validé par le Pape, a établi une règle du partage du monde, jeu qui s’énonce clairement : aux Portugais la moitié définie par la route maritime des Indes classique, soit l’Afrique et le sud-est asiatique ; les Espagnols ont la souveraineté des territoires de la voie nouvellement ouverte. Rien de moins !
Sans pitié pour les Incas, les conquistadores ont choisi le Pérou pour installer un vice-roi et servir de base avancée à leurs ambitions dans le Pacifique sud. En 1567, sur la foi d’une rumeur colportée par un vieil Inca évoquant une île lointaine d’où serait revenue une embarcation débordant de richesses, une expédition quitte Lima. Elle est dirigée par l’autoritaire neveu du gouverneur espagnol, le jeune militaire Alavaro de Mendana (photo DR). L’homme qui va impacter durablement la destinée du futur royaume des Salomon. Car parvenus à proximité du but estimé, les conquérants explorent quelques petites îles alentour ; et à la plus grande, sur laquelle les découvreurs posent le pied le 7 février 1568, Mendana décide, comme l'habitude s'en est déjà répandue, de donner le nom de la cité natale du capitaine de ses soldats, Guadalcanal.
L’accueil est violent. Une embuscade coûte la vie à neuf hommes. La vengeance est à la hauteur de l’affront, massacres et incendie. Mais même élargie aux îles voisines, l’exploration des lieux ne donne rien. Les provisions s’amenuisent. Les équipages grondent. Manque d’effectifs, territoire hostile, destination tellement lointaine qu’on ne sait pas quand on pourra revenir : les Espagnols renoncent à établir une colonie. Ils rembarquent en septembre pour une traversée retour aux allures de calvaire qui les dépose… en Californie. Ce n’est que dix-huit mois après leur départ que les deux navires accostent à Lima.
Mais il en faut plus pour décourager Mendana. Il repart pour l’Espagne afin de convaincre le roi Philippe II de financer une nouvelle expédition. Et c’est là qu’intervient le second coup de pouce d’Alvaro de Mendana à la destinée. C’est en évoquant les trésors des territoires à annexer à la couronne afin de faire fléchir son souverain que serait née l’analogie avec la richesse légendaire des mines du roi Salomon, monarque de l’ancien royaume uni d’Israël, au tournant du XIe siècle avant l’ère chrétienne.
Il s'écoulera 27 ans avant qu'une seconde expédition ne soit mise sur pied, avec cette fois pour objectif de coloniser les Salomon. Aux îles Marquise, Mendana est emporté par les fièvres. L'expédition n'atteindra jamais son but. En 1893, le territoire se range sous la protection des Britanniques.
Les Mélanésiens qui, par milliers, parcourent quotidiennement Mendana avenue ne sont définitivement pas rancuniers.