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80 ans après la guerre, retour à Gudalcanal

Dernière mise à jour : 16 mai 2023



Atterrir à Honiara, c’est se poser sur un livre d’Histoire ouvert à la page 1942. Ca se prépare, on s’en délecte en relevant sa tablette et en redressant le dossier de son siège. Crissement de pneus, contact avec le sol établi. Ce tarmac sur lequel l’unique A 320 de Solomon Airlines ralentit maintenant n’est qu’une concession à la sécurité, une simple couche de modernité sur une terre de légende. La piste a beau avoir été allongée, on a aussi pu juger bon d’en changer l’orientation. Mais ici, bloody hell, ici, pour les Salomonais et pour l’Histoire, c’est Henderson Field. L’aérodrome d’où tout est parti pour les Américains, où la réussite s’est mise à tourner le dos aux Japonais.



Henderson Field. Quelques hectares gagnés sur la végétation d'une île à l'écart de tout; l’unique enjeu des six mois et des 40 000 morts de la bataille de Guadalcanal. Le 7 août 1942, les terrassiers de l’Empire avaient quasiment fini l’aménagement du terrain, base de leurs conquêtes à venir, lorsque se déchaîna le feu du ciel et des cuirassés. Fuyant le déluge vers la brousse voisine dans l’espoir d’un peu de répit, c’est ainsi qu’au premier jour de l’opération Cactus les Japonais offrirent à l’Amérique la possession presque par effraction de ce qu’elle était venue leur prendre. Dans les marmites flottait encore le riz du prochain déjeuner. Bientôt, les redoutables seabees, les couteaux suisses de la logistique US, allaient transformer le coffre-fort abandonné par l'ennemi en four à pain, une bénédiction pour le petit déjeuner des troupes.




Car après avoir baptisé le terrain d’aviation du nom d’un as du ciel abattu à Midway, les Marines souffrirent, doutèrent, plièrent, souffrirent encore. A un moment, ils purent croire l’affaire perdue. Mais avec ténacité et quelques coups de main de la destinée, ils tinrent bon, finissant six mois plus tard par rejeter l’adversaire à la mer. Se doutaient-ils, les petits gars de l’Ohio et du Kansas, qu’ils faisaient de cette île qu’aucun d'entre eux n’aurait placée sur la carte une destination majeure du tourisme historique ?


Sitôt les formalités passées, le béton s’évanouit au profit de ce qu’en d’autres lieux, peu d’automobilistes appelleraient une route. L’image a quelque chose de comique. Chaque côté de la double chaussée reliant l’aéroport à la ville est une succession de véhicules au pas, se dandinant sur leurs suspensions, en une lente procession poussiéreuse. Accrochés à leur volant gainés, les conducteurs calent leur allure sur les quelques décimètres qui les séparent du prochain nid de poule –lisez fondrière, à la première averse. Par solidarité, les passagers prennent leur part du chahut tandis que les bennes des fourgonnettes secouent à l’unisson des cargaisons de voyageurs, debout ou assis, que paraît unir un même haut degré de stoïcisme.





Spectatrice ou actrice de ce road-movie quotidien projeté au super-ralenti, Honiara répète dans un sourire sceptique la promesse entendue de ses responsables. Foi de République populaire de Chine, qui finance le chantier, le revêtement sera impeccable le 19 novembre afin d’accueillir les invités de la cérémonie d’ouverture des 17èmes Jeux du Pacifique. L’arrivant acquiesce -avant de découvrir le reste du réseau routier de la ville, qui ne vaut guère mieux, et pour lequel aucun engagement de dépense local n’a pris le relais de la promesse made in China.


Ce temps décomposé est l’occasion de constater que le livre d’histoire en est la table des matières. Kukum road, Longa river, Longa point, Cruz point, Matanikau… Ces arrêts de bus bondés, ces échoppes sombres devant lesquelles des vendeurs sans entrain proposent des chewing-gums à l’unité, le pont qui enjambe un cours d’eau charriant vers l’océan tout proche un arc-en-ciel de déchets étaient autant d’objectifs cerclés de rouge sur les cartes des états-majors. Chaque jour, 500 vies y étaient perdues, et des centaines d’autres gâchées. Quant à la mer dont le bleu éteint borde désormais le trajet, voici quatre-vingts ans qu’elle a perdu son nom pour devenir, sur les cartes officielles, le détroit au fond d’acier, le Iron Bottom Sound tapissé des carcasses des 67 navires de combat et des plus de 1 300 avions engloutis en six mois.





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